En route vers le palais impérial

Il faisait maintenant nuit noire sur Davek'Merna. Plus personne ne circulait dans les rues. Tout le monde était rentré chez soi pour une bonne nuit de sommeil. On aurait dit que même Nyxaera elle-même s'était absentée afin de se reposer. Ni la lune ni les étoiles n'éclairaient les cieux. Les seules lumières qui brillaient étaient celles qui venaient du temple de la Lune.

Deux adolescents déambulaient dans les rues sombres de la cité flottante. Peut-être était-ce un couple de jeunes gens qui désiraient un peu de tranquilité? La réponse à cette question était un non catégorique. Il s'agissait de l'Impératrice de Nuadeth et de l'un de ses esclaves qui se rendaient au palais. Tous deux revenaient du temple d'Erzelle. La souveraine avait ordonné à Sosmeov de l'accompagner jusqu'au palais impérial. Le jeune homme s'en serait passé volontiers, mais il n'avait pas le choix. Il devait exécuter les moindres volontés de cette enfant présomptueuse.

Depuis le début du trajet, personne n'avait prononcé un mot. Daÿzos, parce qu'il était trop orgueilleux et qu'il n'en avait pas le droit, l'Impératrice, pour une raison qu'il ignorait. Mais après tout... ce silence était grandement apprécié de l'esclave.

Ils approchaient maintenant du palais. On commençait à en apercevoir les plus hautes tours. Bientôt, Daÿzos serait débarassé de l'Impératrice. Il retournerait au quartier des esclaves où, il l'espérait, après une journée de dur labeur, tous dormiraient.

Sosmeov, qui marchait légèrement en retrait, risqua un oeil vers la suzeraine. Une cape lui couvrait les épaules et masquait son visage. L'esclave la dépassait d'un peu plus d'une demi-tête. Sa démarche était souple et gracieuse, un peu comme celle des danseuses engagées lors des fêtes, en Aervallie.

Voilà un bon moment que Daÿzos avait été emprisonné. Narhyu lui manquait beaucoup, ainsi que sa famille. Probablement qu'il ne les reverrait jamais. Il y avait longtemps que l'esclave avait cessé de caresser l'espoir d'au moins recevoir de leurs nouvelles.

Eterdaäz avait les yeux baissés, complètement perdue dans ses pensées. Il lui semblait évident que l’esclave n’était pas ravi d’être ici. Après tout, c’était là le but du jeu, faire payer ceux qui le méritaient. Quelques lumières provenaient du Palais, peut être des serviteurs, esclaves ou encore, par un pur hasard, un sénateur était venu. En moins que la conseillère aie abandonné son beau centaure pour venir.

Une pensée hantait l’adolescente… elle désirait simplement rentrer chez elle, dans le Palais. C’était là sa vraie maison, bien qu’elle aurait voulu connaître l’Empire un peu plus. Son père, quant à lui, connaissait chaque royaume, chaque ville, chaque maison. Voilà le devoir d’un souverain. L’impératrice espérait bien pouvoir en faire autant, pour les habitants et pour elle-même.

Elle aurait aimé connaître Narhyu, ce petit village dans la montagne. Elle croyait se souvenir que l’esclave y était né mais là n’était pas sa motivation d’aller voir l’automne éternel. Sa mère venait de cet endroit… pour que l’Empereur lui-même décide d’y rester longtemps et d’y prendre épouse, ce village devait être envoûtant.

Un bruit retentit derrière la jeune fille qui sursauta brusquement, sortant de ses rêveries. Elle sentait une autre présence, comme s’ils n’étaient pas complètement seuls. Elle se retourna un instant vers Sosmeov, comme pour s’assurer qu’il n’avait pas disparu, au cas ou la « présence » se manifesterait.

Daÿzos marchait toujours derrière l'Impératrice, mais son esprit était ailleurs. Il avait quitté la cité flottante de Davek'Merna et s'était dirigé vers l'Aervallie. Il revoyait Narhyu, son village natal. Combien de temps s'était-il passé depuis la dernière fois où il était allé à la chasse avec son père, ses frères et ses cousins? Depuis quand n'avait-il pas écouté l'une des nombreuses histoires et légendes que lui racontait sa grand-mère? Combien de fois les déesses avaient échangé de place dans les cieux depuis la dernière fois où ses tantes n'avaient pas préparé un bon repas qu'ils partageaient en famille? Un soupir s'échappa des lèvres de l'esclave. Depuis combien de temps n'avait-il pas souri, tout simplement?

Chaque jour paraissait de plus long à Sosmeov. Le jour où il était devenu esclave, il s'était juré de s'échapper et emmener ses amis et son cousin avec lui. Mais chaque fois que Nyxaera prenait la place d'Erzelle dans le ciel, il semblait au captif que son espoir n'était qu'un rêve complètement fou et impossible à réaliser. Comment parviendrait-il à gagner l'Aervallie?

Sosmeov reporta son attention sur l'Impératrice. Qu'est-ce qui lui avait pris de se rendre au temple toute seule? N'avait-elle pas d'escorte? Daÿzos se souvenait que plusieurs ministres et gardes étaient présents, le jour de sa condamnation. Alors, pourquoi la souveraine était-elle seule, la nuit? S'était-elle enfuie? Si c'était le cas, c'était quelque chose de complètement idiot, se disait Sosmeov. Elle pourrait se faire attaquer par des brigands. Des rumeurs couraient, disant qu'il y en avait maintenant à Davek'Merna. Quoique... Cette enfant outrecuidante mériterait bien de se faire agresser par quelques malfrats. Si Daÿzos se souvenait comment sourire, il l'aurait fait.

Soudain, l'Impératrice sursauta et s'arrêta. Sosmeov fit de même. Qu'est-ce qui lui prenait? Pourquoi s'arrêtaient-ils? L'adolescente se tourna vers lui, comme pour s'assurer s'il était toujours là. Daÿzos tâcha d'afficher un visage de marbre, mais il craignait que son étonnement ne se fasse paraître.

Sosmeov s'apprêtait à demander la raison de leur arrêt, même si cela était interdit. Tant pis. Il n'allait sûrement pas s'incliner devant cette Impératrice de pacotille.

Au moment où l'esclave allait ouvrir la bouche, un second bruit, un craquement, se fit entendre. Cette fois, Daÿzos l'entendit. Il se retourna brusquement, cherchant la source du bruit. Personne.

Préférant rentrer le plus vite possible au palais, il fit un pas vers l'arrière, puis se retourna. Prudemment, Sosmeov avança en direction de la demeure de l'Impératrice.

C'est ce moment que choisit le brigand pour passer à l'attaque. Quelqu'un -légèrement plus petit que Daÿzos, mais sans aucun doute plus fort et plus agile que lui- bondit sur lui. L'agresseur tenait une corde à ses mains et essayait d'étrangler l'adolescent. D'un coup de pied derrière le genou, le brigand fit tomber l'esclave par terre, à genou.

Ce dernier, pris de panique, essaya de se débattre, ne faisant que resserrer la prise qu'avait l'homme sur lui. Dans le but de se dégager, Daÿzos lui donna un coup de coude dans les côtes. Le coup n'avait pas été très fort, mais assez pour couper le souffle au brigand et permettre à l'esclave de se dégager. Alors, il donna au malfrat un grand coup de pied dans le sternum. Déjà à genoux, le voleur fut hors d'état de nuire en peu de temps. Un dernier coup à la tempe lui avait fait perdre conscience.

Sosmeov ramassa ses outils tombés sur le sol et leva les yeux vers l'Impératrice. Elle aussi était en difficulté.


[Mwahahaha! Tout un post (raisonnablement long ^^) sans dire une seule fois le mot "suzeraine"! Euh... roh... Trop tard... ¬¬)]

De son côté, Eterdaäz n’avait pas eu le temps de réagir que quelqu’un se jeta sur elle. Surprise, elle poussa un cri suraigu mais cela ne suffit apparemment pas à déjouer son adversaire. Elle tenta de se débattre, envoyant des coups de poings et de pied de tous les côtés, mais rien n’y fit. Le brigand qui s’était attaqué à elle la tenait fermement par les deux mains. Si elle avait choisis ce moment pour se transformer en renard, elle aurait probablement les pattes brisées et les ailes également, du à la manière dont elle était prisonnière.

Elle finit par envoyer un coup de pied bien placé au brigand, permettant à l’Impératrice de se glisser au sol et de se transformer. Elle passa en dessous des jambes de son adversaire et le mordit violement au mollet.

D’un œil, elle observa Sosmeov qui était sur le point de se faire étrangler par le brigand. C’est à ce moment de distraction que choisis son brigand à elle pour secouer la jambe assez fort pour qu’Eterdaäz effectue un vol plané d’environ deux mètres. Elle se retransforma en humaine, se disant qu’elle aurait plus de chance sous cette forme. Un deuxième brigand c’était approché d’elle. Cette fois, elle était à bout de force et ces deux hommes armés la terrifiaient, elle en était presque paralisée. Si jamais des gardes voulaient se montrer le bout du nez, c’était le moment ou jamais.

Récemment remise de ses blessures, Sédéhie avait reçu l'ordre de se ménager et de garder le lit. Or, étant quelqu'un de nature active, le Sénateur avait fait fi de recommandations du centaure. Elle avait revêtu des vêtements propres, pris ses armes et quitté ses appartements. Le soir étant venu, les couloirs étaient déserts. Sédéhie croisait une fois de temps en temps quelques gardes avec qui elle échangeait quelques mots afin d'être au courant des dernières nouvelles de l'Empire.

Elle poursuivit sa marche jusqu'à l'extérieur. Un poignée de soldats étaient postés aux portes du Palais de Marbre. Sédéhie s'arrêta et échangea quelques mots avec eux. Elle apprit que les autres Sénateurs arriveraient ce soir ou le lendemain à Davek'Merna. Le Sénateur du Syltarien en conclut que l'Impératrice avait prévu une réunion à la Table du Savoir. Étant elle-même déjà à la cité flottante, elle se dit que probablement un serviteur l'avertirait de l'heure de la réunion.

Alors que les guerriers discutaient d'actualité, un cri perçant se fit entendre. Aussitôt, le Sénateur et les gardes se dirigèrent vers sa source. Sédéhie se félicita d'avoir pris ses armes avec elle.

Elle et les quatre soldats aperçurent enfin l'auteure du hurlement : il s'agissait d'une jeune fille attaquée par deux hommes armés. Un autre, probablement un complice, se tenait debout près d'une silhouette inerte. Sédéhie savait qu'on ne l'avait pas vue. Elle prit donc l'un de ses couteaux, la lame entre son majeur et son index, et prit son élan. Cette façon de lancer ces armes était précise, mais manquait souvent de puissance. Il fallait viser les parties vitales afin de mettre son assaillant à terre. Or, cette fois, les hommes ne pourraient sans doute pas esquiver le couteau; la noirceur et leur concentration aidant le Sénateur.

Celle-ci lança finalement l'objet meurtrier, qui atteint le brigand au sterno-cléido-mastoïdien et lui déchira la gorge. Il tomba au sol. Son compagnon, surpris, se pencha vers lui. Sédéhie ordonna de passer à l'attaque. L'un des gardes dégaina son épée et se précipita vers lui. Déjà inattentif, il l'assoma sans problème. Les autres soldats se précipitèrent vers le seul homme qui n'était pas passé à l'attaque. Sédéhie s'approcha alors de la victime et reconnut l'Impératrice. Elle mit un genou à terre et se releva.

- Majesté, fit-elle d'un ton mi-interrogatif, mi-accusateur.

Par Nyxaera, que fait-elle ici, sans escorte?!

Sans attendre quoi que ce soit de la souveraine, le Sénateur se tourna vers le captif encore conscient. Elle le toisa avec mépris, puis reconnut l'esclave qui avait tenté de l'assassiner.

- Mais qui vois-je? Visiblement, cette canaille n'a toujours pas perdu l'envie de mettre à mort ses supérieurs hiérarchiques.

De nombreuses fois Erzelle et Nyxaera échangeraient de place dans les cieux avant le jour ou Sédéhie cessera d'en vouloir à cet habitant de l'Aervallie. C'était avec un plan semblable à celui-ci qu'il avait tenté de tuer le Sénateur. Mais encore une fois, on avait pu l'arrêter à temps.

En voyant Sédéhie, Eterdaäz fut rassurée. Jamais plus elle ne se déplacerait sans armes, c’était devenu beaucoup trop dangereux. L’Impératrice avait choisis de ne pas révéler les raisons de sa présence au sénateur. De toute manière, cela ne la regardait aucunement. Le sénateur posa un genou par terre devant elle et se releva ensuite. Elle ne posa pas de questions, ce qu’Eterdaäz jugea plutôt raisonnable de la part de Sédéhie puisqu’elle était d’une humeur assez désastreuse depuis l’attaque.

Avant que l’Impératrice ne puisse parler, Sédéhie s’était retournée vers l’esclave. À voir son regard, elle ne pardonnerait probablement jamais à Sosmeov d’avoir tenté de l’assassiner.

« Mais qui vois-je? Visiblement, cette canaille n'a toujours pas perdu l'envie de mettre à mort ses supérieurs hiérarchiques. »

L’Impératrice haussa un sourcil. Pensait-elle qu’il était des brigands? Ce serait une énorme erreur de le punir pour avoir été sur les lieux de l’attaque.

-Sénateur, visiblement, n’avez pas tout comprit dans cette histoire. S’il avait réellement tenté de me tuer, il aurait probablement réussi puisque si votre vue n’est pas endommagée, vous pouvez aisément remarquer qu’il aurait facilement pu m’assommer à l’instant avant que vous arriviez avec l’un de ses outils.

Elle marqua une pause et reprit son souffle avant de continuer :

-S’il est avec moi ce soir, c’est parce que cet esclave m’escorte au palais. C’est moi qui lui ai demandé en sortant du temple d’Erzelle. Vous devriez en fait le remercier car s’il n’avait pas été là, ces brigands auraient eu le temps de me trancher la tête une dizaine de fois au moins avant que vous arriviez!

Un sourire en coin éclaira ses lèvres. Elle n’aimait pas beaucoup cet esclave, c’était vrai. Mais il l’avait tout de même aidée (peut être sans le vouloir) et Sédéhie l’accusait pour un crime que cette fois, il n’avait pas commit.